Wednesday, June 24, 2020

Artemisia: la plante "miracle" agit sur le Covid19

Après quatre heures de visite, Peter Seeberger et son adjoint, Kerry Gilmore, assoient leurs doubles mètres respectifs. Les deux colosses affichent leur confiance. « Si je n’étais pas optimiste, je n’aurais pas accepté que vous veniez jusqu’à nous », nous dit le directeur de l’Institut Max Planck, à Potsdam, en Allemagne. Son enthousiasme est contagieux. Le chercheur nous laisse entendre qu’un premier laboratoire aurait déjà livré des conclusions positives. Si le deuxième les confirme, alors… « Nous allons subir une pression énorme. » Au moment où il nous parle, début mai, il ignore qu'il lui faudra attendre presque deux mois avant de connaitre la réponse. Le détail des résultats sera communiqué lors d'une conférence de presse mercredi 24 juin à 15 heures. Déjà, lors de notre rencontre, le scientifique nous avait expliqué la suite des événements: deux hôpitaux devraient mener « immédiatement » des essais cliniques. Validé en laboratoire, le remède devra maintenant prouver son efficacité sur les humains. « En temps normal, ce travail prend plusieurs mois. Mais, vu le contexte, un mois devrait suffire. » Ainsi, d'ici la fin de l'été, l'épisode Artemisia devrait enfin être élucidé.
Peter Seeberger (à dte), directeur de l’Institut Max Planck de Potsdam, dans son bureau, le 30 avril, avec son adjoint Kerry Gilmore
Peter Seeberger (à dte), directeur de l’Institut Max Planck de Potsdam, dans son bureau, le 30 avril, avec son adjoint Kerry Gilmore© Pascal Rostain / Paris Match
Ce 1er mai, Potsdam a des airs sinistres. Le palais voisin de Sanssouci, où Voltaire fut accueilli en chef d’Etat par le roi de Prusse Frédéric II, est fermé depuis des semaines. Même calme plat à Potsdam-Golm, cette mini-ville dédiée à la recherche. Devant la jungle des bâtiments de l’Institut Max Planck, ce sont d’habitude des milliers de scientifiques du monde entier qui se croisent. Télétravail oblige, ils sont moins d’une centaine lors de notre visite. La moitié d’entre eux officient dans le département biologie moléculaire de Peter Seeberger.
Cette absinthe chinoise utilisée depuis la nuit des temps présente aujourd'hui le traitement le plus efficace contre le paludisme
La cinquantaine dynamique, ce chercheur en bactériologie, formé aux Etats-Unis, est d’une franchise désarmante. Adepte des médecines traditionnelles chinoises, par lesquelles il a soigné ses allergies, il s’est très tôt intéressé à l’artemisia, « l’absinthe chinoise », utilisée depuis la nuit des temps d’abord pour ses vertus aphrodisiaques et antihémorroïdaires, puis pour son efficacité contre le paludisme, cette maladie parasitaire qui, aujourd’hui encore, fait plus de 400 000 morts par an. Les Chinois doivent même à cette plante une victoire militaire… contre les Américains.
Dans les années 1960, les soldats Viêt-cong sont décimés par la fièvre tandis que, grâce à leur traitement à base de chloroquine, les GI résistent. Mao fait alors glisser dans les stocks de munitions destinés à ses alliés son arme de destruction massive contre "Plasmodium falciparum", ce parasite transmis par la piqûre de moustique, à l’origine du paludisme. Les cargaisons d’artemisia vont permettre à Hô Chi Minh de soigner ses troupes et de renverser le rapport de force. Etrange facétie de l’histoire, la guerre qui oppose alors la Chine et les Etats-Unis distingue ainsi deux remèdes contre le palu : la chloroquine et l’artemisia. En 1972, la chercheuse en pharmacie chinoise Tu Youyou réussit à isoler l’un des principes actifs de la plante, l’artémisinine.
Une plante Artemisia dans l'une des exploitations créés sous l'impulsion de la Maison de l'Artemisia fondée par Lucile Cornet-Vernet
Une plante Artemisia dans l'une des exploitations créés sous l'impulsion de la Maison de l'Artemisia fondée par Lucile Cornet-Vernet© DR
Regroupées sous l’appellation CTA, les combinaisons thérapeutiques à base de cette substance seront reconnues par l’OMS comme le traitement le plus efficace contre le paludisme et délivrées massivement en Afrique et en Asie du Sud-Est. Les résultats sont éloquents : entre 2000 et 2012, le taux de mortalité par paludisme chute de 45 % ! Les grands laboratoires craignent alors d’être les victimes de leur succès et de manquer d’artémisinine. On se creuse la tête pour pallier une potentielle pénurie. Tandis qu’à Garessio, en Italie, le groupe Sanofi lance la production d’une variété semi-synthétique, les chercheurs de l’Institut Max Planck travaillent sur une amélioration du rendement, en modifiant notamment le mode d’extraction du principe actif : « Au lieu d’utiliser de grandes cuves de fermentation, explique Peter Seeberger, nous avons eu recours à des tuyaux et ça a marché. » Trois ans plus tard, une doctorante de l’équipe allemande suggère l’emploi d’un photocatalyseur on ne peut plus naturel : la chlorophylle. Publiée en 2018 dans la revue « Angewandte Chemie », sa découverte fait sensation. « Il fallait juste y penser », lâche Seeberger avec un grand sourire. « C’est dingue que personne ne l’ait fait avant », commentait à l’époque le professeur Oliver Kappe, cité par le journal « Le Monde ». Peter Seeberger travaille aussi sur la qualité des semences. Son équipe a créé une société aux Etats-Unis, ArtemiLife, qui transforme les anciens champs de tabac du Kentucky en plantations d’artemisia. La plante de vie au lieu de la plante de la mort...
Ses projets prennent une tout autre envergure lorsqu’il découvre les expériences menées par Thomas Efferth, professeur de l’université Johannes Gutenberg, à Mayence : « Il est le premier à avoir démontré que l’artémisinine était active contre le cancer. » L’artemisia est-elle la nouvelle plante miracle ? Pourquoi pas… Dès l’apparition du Covid-19, Seeberger se rappelle que, pendant l’épidémie de Sras, elle était prescrite par les médecins chinois. En janvier, il décide donc de mener des tests moléculaires pour faire réagir la plante et son principe actif contre des cellules infectées par le virus. Un laboratoire danois accepte la mission au pied levé. A cause des règles de distanciation, la livraison des plantes ne peut avoir lieu dans les locaux. Les grands sacs en toile de jute remplis de feuilles pilées sont échangés sur un parking.
« On aurait dit un trafic de drogue », s’amuse Peter. Un deuxième laboratoire, à Berlin, propose de se joindre à l’expérience et, le 8 avril, l’Institut Max Planck en fait l’annonce officielle. Au même moment, en France, le téléphone de Lucile Cornet-Vernet, directrice de La Maison de l’artemisia, vibre en continu. « Ce qui se passe est incroyable ! » s’exclame-t-elle en nous accueillant dans sa propriété de l’Oise. Lucile se bat depuis sept ans pour faire connaître les vertus de la plante. Elle reçoit en temps réel des informations de 200 médecins, chercheurs et agriculteurs, africains pour la plupart. Pour cette orthodontiste parisienne, tout a commencé avec le récit d’un ami, l’écrivain-voyageur Alexandre Poussin, miraculeusement guéri du paludisme grâce à des tisanes d’artemisia. Elle crée en 2013 l’association destinée à faire connaître le remède naturel et, bientôt, accompagne dans 23 pays la création de 81 « Maisons », autant de coopératives aidant les agriculteurs à produire, puis à trouver des filières de distribution.
u Togo et au Bénin, la plante se vend en pharmacie ; ailleurs, sur les marchés. En 2015, la Française aide un jeune étudiant en médecine de la République démocratique du Congo (RDC), Jérôme Munyangi, à tester l’effet des tisanes d’artemisia sur des personnes atteintes de palu. Si son enquête présente des défauts de méthodologie – « Nous n’avions que 14 000 euros » –, elle révèle des résultats stupéfiants. Preuve de sa pertinence, la tête de Munyangi est mise à prix par les mafias des faux médicaments. Empoisonné en RDC, il doit se réfugier à Paris. En avril dernier, le chercheur reçoit un curieux message : un conseiller du président Félix Tshisekedi lui adresse une capture d’écran de sa carte de visite, puis lui annonce que le chef d’Etat est prêt à lui envoyer un jet privé pour le ramener au pays… L’Afrique ne veut pas laisser passer la chance de l’artemisia. Lucile Cornet-Vernet a adressé, le 20 mars, un courrier à une vingtaine de ministres de la Santé, leur suggérant de « réaliser des études complémentaires pour confirmer l’efficacité de cette plante ».
Un mois plus tard, Andry Rajoelina, le président de Madagascar, annonce la distribution d’artemisia à sa population. Le 30 avril, alors que le professeur Seeberger attend à Potsdam des nouvelles de ses tests cellulaires, des présidents africains réunis en visioconférence débattent déjà de la généralisation du « Covid-Organics », le terme inventé par le président malgache pour désigner la tisane d’artemisia. S’ils ne détiennent pas encore de preuve scientifique, tous partagent la conviction que ce n’est pas un hasard si les pays touchés par le paludisme semblent épargnés par le Covid-19. Même « coïncidence » en Asie du Sud-Est. Pour cause de traitement, le nombre de malades atteints du palu dans la région du Mékong a chuté de 95 % entre 2010 à 2018, et le Vietnam ne compte, à ce jour, aucune victime du Covid-19.
Le professeur Didier Raoult l’a pressenti : le continent africain pourrait être épargné, du fait, entre autres, de la consommation de traitements antipaludiques. Argument repris à l'époque par Donald Trump : « C’est parce que les populations prennent de la chloroquine », claironne-t-il lors d’une conférence de presse. Il ignore que, depuis longtemps, la chloroquine n’est pratiquement plus prescrite contre le paludisme. Quarante-cinq ans après la chute de Saïgon, l’artemisia a gagné cette guerre contre la chloroquine. Sera-t-elle assez coriace pour anéantir le Covid-19 ? Mercredi 24 juin, le professeur Seeberger pourrait annoncer la bonne nouvelle.
Après des mois d'analyses, l'Institut Max Planck de Potsdam en Allemagne devrait annoncer demain que des extraits d'Artemisia ont prouvé leur efficacité contre le virus Covid19. Prochaine étape : les chercheurs allemands devraient mener des essais cliniques sur des patients atteints du virus aux Etats-Unis. Reportage.

Entre les mains de Mara Guidi, 31 ans, doctorante au service des flux chimiques, dirigé par l’Américain Kerry Gilmore (au fond), quelques feuilles pilées. Au laboratoire de l’Institut Max Planck de Potsdam, le 30 avril.
Entre les mains de Mara Guidi, 31 ans, doctorante au service des flux chimiques, dirigé par l’Américain Kerry Gilmore (au fond), quelques feuilles pilées. Au laboratoire de l’Institut Max Planck de Potsdam, le 30 avril.

François de Labarre

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